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Comment retrouver le bien être au travail ?

Plus de 300 personnes ont participé au colloque sur la souffrance au travail des soignants organisé à Lille le 21 janvier 2010 par la mutuelle SMH et l’association nationale de formation des hospitaliers (Anfh). Deux ans après celui de Bailleul, le succès de ce colloque témoigne d’une attente forte des personnels face à une réalité marquée par le mal être et les difficultés.


"Ensemble retrouvons le bien être au travail".

Le sous-titre du colloque est éloquent et témoigne de la démarche de ses initiateurs : mutualiser savoir et compétences pour combattre ce mal qui touche le monde des soignants comme la plupart des métiers.
Au fil des trois tables rondes de la matinée, puis des ateliers organisés l’après-midi, la réalité est apparue dans toute sa crudité : le manque chronique de personnel, la multiplication des consignes et protocoles élaborés sans contacts avec le terrain, le souci de faire bien son travail dans des conditions de plus en plus difficiles provoque du stress et des tensions au travail qui peuvent devenir insupportables. Mais curieusement, cette réalité qui pèse lourdement sur la vie des salariés dans toutes se dimensions, est le plus souvent niée ou renvoyée à une dimension strictement individuelle. Syndicats, Comités d’hygiène et de sécurité (CHSCT), représentants du personnel, médecins et inspecteurs du travail se disent tous désarmés face au phénomène. Seule une action commune menée par l’ensemble des intéressés peut permettre de lutter contre cette tendance lourde qui, en privilégiant les logiques de gestion sur les logiques de travail, provoque autant de souffrance humaine. Avancer dans cette voie est le but affiché par les organisateurs.

LE CONTEXTE : EVOLUTION DES CONDITIONS DE TRAVAIL. LES REFORMES ET LEURS IMPACTS

Serge Dufour, directeur du pôle travail du cabinet Émergences rappelle deux lois importantes, passées à l’époque presque inaperçues, mais dont on mesure les effets aujourd’hui : la loi sur l’intérim ( 1972) et celle sur la sous-traitance ( 1973) . Il souligne que l’organisation actuelle du travail conduit à une permanente restructuration.
L’encadrement de premier niveau se mue en manager, porteur du discours faisant appel à l’initiative. Le discours est le suivant : « voila les objectifs, débrouillez vous ».
Au travail, « le conflit sur la qualité est permanent » : il rappelle le mot d’ordre d’une entreprise de technologie («l’excellence c’est de ne pas faire plus que le nécessaire »). Pour le salarié, au contraire, le travail doit être porteur de sens. Mais « le travail à la chaîne pénètre dans les activités tertiaires ».
De plus, « avec le développement de la procèdurisation, des prescriptions, il s’agit de faire porter la responsabilité des conséquences sur celui qui travaille et pas sur celui qui organise le travail. Il est nécessaire de faire revenir dans le débat social toutes ces questions vécues individuellement » souligne-t-il.

Philippe Crepel ( Fédération santé CGT) intervient sur l’accélération des réformes dans la santé, quatre réformes en 15 ans ( Réforme Juppé en 1996, Loi Mattei en 2000, loi sur la gouvernance en 20O5 et loi HPST en 2008). Or, « d’une réforme à l’autre aucun bilan n’est fait. Toutes ces réformes ont fait glisser la politique de santé de la logique de besoin à la logique économique ».
On est dans l’absurde : la tarification à l’activité pousse à de plus en plus d’activités sans que les ressources augmentent pour autant puisque les dépenses santé sont comprimées dans l’Ondam ( objectif national des dépenses de santé ). Conséquence importante des réformes « la parole des salariés est confisquée. Il faut leur redonner la parole ».
Pour Isabelle Rogez, ( association régionale pour l ’amélioration des conditions de travail) « l’écart s’accroît entre la logique gestionnaire et la logique du travail » . On enferme le travail dans des taches, des procédures rigides, des protocoles. On contrôle on mesure on additionne.
Mais « à l’hôpital, les pathologies n’entrent pas dans ces cadres. Au contraire, le travail de soin comporte une charge émotionnelle importante ; le rapport à la souffrance, à la mort. Résultat « plus l’écart s’accroît entre les deux logiques plus la souffrance au travail augmente ». L’intervenante cite cette phrase d’une infirmière : « ce que l’on ne peut pas faire, c’est ce qu’on préfère, notre métier ». Elle conclue « la seule voie de sortie passe par le dialogue social sur la finalité du service ».
Dans la salle, le secrétaire du CHSCT à l’hôpital de Roubaix intervient sur le déni quu reste à lever sur la souffrance au travail. De fait, alors que l’hôpital public compte un million de salariés, il n’existe pas d’enquête, de statistiques sur leur santé.
Pour Roger Mari , responsable régional CGT Nord pas de Calais, « il faut reprendre les thèmes développés par la fédération des Mutuelles de France (la santé n’est pas une marchandise, mon corps n’est pas une bagnole). Ce sont les politiques qui décident ajoute -t-il. Il faut parler politique dans les colloque ».
Dans la salle, Madame Woets, intervient sur la dégradation des conditions de travail des auxiliaires de vie dont le temps d’intervention est maintenant réduit à un quart d’heure : « Où commence la maltraitance ? interroge-telle. Ce temps minuté est surveillé : « en arrivant au domicile de la personne âgée, elles téléphonent et retéléphonent avant de repartir. »
Serge Dufour rassemble les éléments de la problématique : « constater l’ampleur des dégâts nous porte à rechercher les solutions. La vraie question c’est comment pouvons nous remonter à la cause de la souffrance. Ce qui fait souffrir c’est ce qu’on n’arrive plus à faire. Or, le manque de temps renvoie au manque d’effectifs ».

LES MODALITÉS D’ACTION, DE PRÉVENTION

Quelles modalités d’action , de prévention en souffrance au travail ?
Annie Dussuet, sociologue appuie son intervention sur un travail de recherche effectués auprès des salariés d’associations d’aide à domicile. 99% de ces salariés sont des femmes, relativement âgées, qui travaillent après avoir connu des interruptions de carrière et vont donc devoir travailler longtemps.
Leur travail est de plus en plus fractionné, elles ont chacune de plus en plus de personnes âgées à aider : « cela apparaît comme un travail banal mais il comporte des risques importants : nombreux déplacements, travail dans un lieu privé, en solitude, avec l’obligation de définir soi même les tâches à réaliser, leur priorité ». Un constat la souffrance s’accroît aussi dans ce secteur. Comme élément de prévention, la sociologue cite « l’organisation du travail : il faut trouver du temps et des lieux pour définir ce travail. Parler du travail c’est du travail ».
Dorothée Zmuda psychologue du travail, présente la méthodologie développée par le CNAM ( Conservatoire national des arts et métiers) auprès de personnels soignants en hôpital : « il s’agit de rassembler un collectif de soignants d’une douzaine ayant une activité similaire et sans lien hiérarchique entre eux. Le psychologue animateur n’est pas présenté comme un spécialiste au contraire . Cela va amener les acteurs à reprendre un droit fondamental : celui d’être acteur de leur métier ». En s’exprimant en collectif sur son travail, chacun va pouvoir ressortir des émotions qui prendront sens.

LES INSTITUTIONS GARANTES DE LA SANTE AU TRAVAIL

De quels outils disposent les institutions garantes de la santé au travail ( Inspection du travail, médecine du travail, CHSCT) ?
Patrick Descamps, inspecteur du travail souligne une difficulté : « dans le code du travail les mots de stress , souffrance au travail n’existent pas. La seule réglementation concerne le harcèlement ». Les suicides chez Renault, à France télécom vont obliger à faire évoluer la jurisprudence sur les risques psycho sociaux.
Il existe des outils, par exemple la réglementation de 1991 sur l’évaluation des risques. Chaque entreprise a l’obligation de faire une évaluation des risques, de mettre en oeuvre des mesures pour les supprimer. Ne pas le faire revient à s’exposer à des poursuites pénales. Depuis décembre 2008, ce document unique doit être obligatoirement affiché pour information du salarié, lui permettre d’identifier les risques, « c’est la base, l’élément central pour discuter des conditions de travail et de l’organisation souligne l’intervenant. S’il n’existe pas il faut alerter l’inspection du travail, la médecine du travail ».
Il insiste sur le fait que la plainte existe mais « rien rien ne se fait, matériellement elle n’arrive pas dans nos services ». Il met en avant le rôle des CHSCT qui peuvent déclencher les enquêtes, objectiver les plaintes, remonter les causes de la souffrance au travail afin que l’inspection du travail aux moyens réduits puisse travailler efficacement.
Autre outil possible, le code du travail prévoit que le salarié peut lui même faire appel au médecin du travail.

Pour Jean Marc Briaval, secrétaire du CHSCT à l’hôpital d’Arras « le b.a. BA c’est le terrain, le vécu et la connaissance du terrain. Il faut prendre son bâton de pèlerin, enquêter de façon collégiale de manière à produire des expertises graduées, à rendre transparent le problème ». Il insiste aussi sur la nécessaire formation des élus des CHSCT.
« Tant qu’on ne dit rien, on ne peut rien faire « rebondit le docteur Trichart, médecin du travail au CHRU de Lille. Le silence sur la souffrance au travail est difficile à lever car « les soignants acceptent mal l’idée d’aller mal eux mêmes. Ils tiennent jusqu’au bout de leurs forces ».

Dans la salle, Serge Ducroq, président de la SMH reprend l’idée qu’il faut lever chez les soignants « ils font abstraction d’eux mêmes et considèrent qu’ils ne sont pas là eux pour se faire soigner. La médecine du travail est un droit , encore méconnu et est encore considérée comme à la solde de la direction dans le public comme dans le privé ».
C’est ensemble que nous pourrons agir pour soulager cette souffrance et permettre à chacun de se sentir bien dans son travail, ont martelé en guise de conclusion de cette journée, Patrick Vialas pour l’Anfh et Béatrice Torrez pour la Smh. Restant à l’écoute des agents et des salariés, les organisateurs, chacun dans son domaine, sont bien décidés à prolonger cette journée par des actes concrets.
Maïté Pinero